vendredi 3 février 2017

L'Eozoon canadense à Côte-St-Pierre (corrections)


Voir suite : billet du 23 mai 2017.

Fig. 1. - Spécimen d’Eozoon canadense recueilli par William Logan (photo tirée de ce document de Bibliothèque et Archives Canada). Source : Ressources naturelles Canada/2005-081. © Ressources naturelles Canada. Photo : Fournie à titre gracieux par Ressources naturelles Canada. nlc-10629.
[...] c'est dans cette région que se trouve la côte (sic) St-Pierre, endroit rendu fameux dans le monde des géologues par l'Eozoon Canadense (sic), cet hypothétique fossile précambrien que les anciens géologues venaient chercher dans les calcaires cristallins [marbres] serpentineux de cet endroit. Certains auteurs soutiennent que l'Eozoon Canadense n'est pas un reste organique, mais tout simplement une association minérale où des couches de calcite ou de diopside alternent avec des couches de serpentine; ces couches étant souvent courbées et plissées peuvent donner l'impression d'une structure due à un certain organisme.» (Faessler, 1948, p. 8-9.)


Résumé

Eozoon canadense : pseudofossile découvert en 1863 dans un marbre précambrien (province de Grenville, 1 milliard d'années et plus).

Localisation

Côte-St-Pierre, au nord de Saint-André-Avellin, route 321, collines au NW du lac Charlebois (Québec). CORRECTION (8 févr. 2017). - J'avais cru qu'on trouvait l'Eozoon sur le territoire de Ripon. On m'a aimablement corrigé : il est à l'intérieur des limites de St-André-Avellin, dans la Petite-Nation. Non seulement le plus vieil habitant de Ripon n'a jamais vécu, mais il n'est pas domicilié dans le village...



Qui, en Outaouais, a entendu parlé de l'Eozoon canadense ? Qui sait que le village de Côte-Saint-Pierre, au nord de Saint-André-Avellin, a été, entre 1860 et 1900, le point focal de l'attention des géologues et des paléontologues du monde entier ? Même Darwin, dans son Origine des Espèces (4e édition, 1866), toucha mot de Côte-Saint-Pierre. On tenait, avec l’Eozoon canadense, l’une des plus grandes découvertes géologique de l’époque.

La raison d'un tel enthousiasme tenait en une banale alternance de serpentine verte et de calcite blanche survenant dans un marbre précambrien, trop vieux pour renfermer quelque traces de vie que ce soit (voir Fig. 1). Rien que du banal à première vue, rien pour ameuter les foules ou les géologues.

Un examen d’échantillons au microscope changea le point de vue. On était certain d'avoir d'avoir sous les yeux les restes fossilisés d'une forme de vie primitive. Le nom choisi pour l'organisme, Eozoon canadense, signifie d'ailleurs «aube de la vie au Canada» (poétique, non ?) Cet Eozoon, un foraminifère, croyait-on, tapissait les fonds marins où il édifiait des structures mamelonnées qui n’était pas sans évoquer les stromatopores plus récents (voir ces billets). Le tout aurait été enfoui puis métamorphisé (recristalisé à chaud sous pression) avant que l'érosion ne ramène l'Eozoon à la lumière du jour. Et c'est ainsi que nous découvrons ces édifices faits d'une succession de bandes blanches (calcite) et vertes (serpentine). [Paragraphe retouché le 4 févr. 2016.]

On avait remarqué dès avant 1858 d’autres formations semblables dans la région, en Ontario et au Québec. Cependant, l'affleurement type, celui qui fut le mieux étudié et le plus discuté, reste celui de Côte-Saint-Pierre, découvert en 1863.

Passé le premier enthousiasme, quelques voix discordantes se firent entendre. Ni le marbre ni la serpentine ne sont choses rares. Dans la région, en tout cas, la serpentine, toujours associée aux marbres, abonde. L'affleurement de Côte-Saint-Pierre n'avait au fond rien d'exceptionnel. L’Eozoon, ou plutôt sa structure feuilletée, pouvait bien être le résultat de processus prenant place durant le métamorphisme régional. Le débat entre le clan des partisans d’une origine biogénique et ceux qui tablaient sur des processus inertes fut long et acrimonieux. En 1900, le cause était entendue, en faveur de ces derniers. La découverte de structures semblables à celles de l’Eozoon canadense dans des calcaires du Vésuve apporta un argument décisif à leur parti. Les souvenirs de la controverse étaient encore assez vifs en 1913 pour que les organisateurs du Congrès international de géologie qui se tenait au Canada incluent le site de Côte-Saint-Pierre dans leur programme d’excursions (Stansfield, 1913).

Je ne tenterai pas ici de résumer le débat ou à en nommer les protagonistes, sauf ceux que la rédaction de ce billet m’oblige à citer. Ça allongerait indument mon texte et seul l’aspect géologique de la question m’intéresse. Voyez les documents en «Références» si l’historique de la controverse vous intéresse.

Stanfield (1913) décrit la géologie du site, au sud de Côte-Saint-Pierre, dans des collines situées à l'ouest du chemin qui longeait le lac Allard (lac Charlebois de nos jours). (Voir Fig. 2.) On avait, de l'ouest vers l'est :


  • Diorite (gabbro en périphérie et une syénite-diorite quartzifère autre part) ;
  • Roche à diopside vert pâle ou blanc (diopsidite) ;
  • Eozoon canadense ;
  • Serpentinite (ophicalcite) ;
  • Marbre impur normal à mica. (Stansfiled néglige de mentionner la présence de bandes de marbre dolomitique (magnésien) dans le marbre.)

Il était tentant à la lumière de cette cartographie d'interpréter la présence de la diopsidite et de la serpentinite comme le résultat du métamorphisme de contact dans un marbre magnésien silicieux envahi par une diorite en fusion. La structure feuilletée de l'Eozoon canadense ne serait que la conséquence du comportement contrasté de minéraux soumis à des conditions extrêmes de pressions et de températures. Dernière étape du processus, la serpentinisation du diopside (silicate magnésien) par altération hydrothermale.

Dawson (1888), au contraire, plaçait la couche de l'Eozoon dans le marbre et réduisait la diopsidite à des concrétions ou des masses de diopside dans le même marbre (Fig. 4). Selon la coupe la plus détaillée que donnait Dawson (p. 8), on avait, toujours de l’ouest vers l’est :


  • Diorite grossière et une bande de gneiss ; direction NE, pendage abrupt vers le SE ;
  • Marbre traversé par des veines de chrysotile (ou amiante : «Asbestos» sur la carte de Stanfield) renfermant des masses de pyroxène (diopside de Stanfiled) et l’Eozoon en spécimens imparfaits ;
  • Marbre et dolomie grossiers ;
  • Marbre à serpentine (serpentinite ou ophicalcite de Stansfield) contenant les spécimens parfaits de l’Eozoon ;
  • Marbre renfermant de larges concrétions de serpentine + une bande de fins spécimens de l’Eozoon ;
  • Marbre avec concrétions et bandes interrompues de serpentine et de pyroxène ; fragments de l’Eozoon ; présence avec et au dessus de l’Eozoon de bandes de dolomie ;
  • Marbre blanc laminé recoupé par des veines de chrysotile ;
  • Marbre laminé à bandes de serpentine.

Ainsi, Dawson minimisait l'influence de la diorite sur le marbre et sur la genèse de l'Eozoon. On peut croire que c'est son erreur initiale (prendre l'Eozoon pour un organisme fossile) qui l'a empêché de tirer les conséquences de la géologie du site.

Pour la petite histoire de la région : la découverte et la cueillette d'échantillons de l’Eozoon avait été facilité par l'existence d'une carrière abandonnée. On y avait exploité le rock cotton, ou serpentine fibreuse, ou chrysotile, ou asbestos, ou, pour en finir, amiante. Le minéral servait dans les pièces de machines à vapeur. (Dawson, 1875, p. 22.)

La controverse autour de l'Eozoon est toujours d'actualité. En 1997, Trzcienski et Hofmann ont établi que les structures fines de l’Eozoon, les canaux et tubuli, qui avaient achevé de convaincre Dawson (et d’autres) de la nature biologique des édifices, relevaient de phénomènes d’exsolution (ségrégation) entre la dolomite et la calcite durant le métamorphisme.

La méprise en était une de bonne foi, les supporteurs de l’Eozoon canadense étaient tous des scientifiques capables. Il est facile de juger après la fermeture des dossiers, quand l’évidence est devenue… évidente ! De véritables fossiles précambriens furent bien découverts au Canada, mais plus tard. Ceci est une autre histoire.

Qui se souvient ?..., disais-je au début du billet. Pour consolider la mémoire, pourquoi pas un panneau explicatif pour rappeler qu'autrefois, le plus ancien citoyen du pays, l'Eozoon canadnese, domicilié à Côte-Saint-Pierre, a été, le temps de deux ou trois générations humaines, une célébrité mondiale (du moins dans le cercle des géologues et naturalistes) ?


Fig. 2. - Stansfield (1913) : occurence d'Eozoon canadense à Côte-St-Pierre, QC, au N de Ripon. Quelques éléments de la légende : E : Eozoon ; A : Asbestos (amiante) : Limestone : marbre ; Lac Allard : lac Charlebois d'aujourd'hui ; le chemin correspond à la route 321 moderne.


«Entre la roche à diopside [Diopside rock de la carte] et le marbre normal [Grenville limestone], se place une zone de serpentine [Serpentine limestone] dont la largeur varie de 3 à 30 m. À cet endroit, la serpentine et de la calcite montrent une disposition quelconque telle qu’en montre une ophicalcite normale, sauf en un ou deux points où elles évoluent vers ce qu’on a appelé l’Eozoon canadense.» (Stansfield, p. 98, mon adaptation.)


Fig. 3. - Rothpletz (1916). Sa carte reprend pour l'essentiel celle de Stansfield (Fig. 2) et je je ne l'aurais pas reproduite sans un petit détail pittoresque, la ferme d'un certain G. Lavigne (L) (Ajout (25 mai 2017) : il s'agit d'un Gilbert Lavigne, voir billet du 23 mai 2017.)  Légende : ajouts par rapport à Stansfield : Quartzit : quartzite ; Marmor : marbre ; Gabbro de Rothpletz : diorite de Stansfield ; Kalstein : calcaire ; Quelle : source ; Schacht : arbre.


Fig. 4. - Dawson (1888). SE à gauche, NW à droite. Même site, géologie plus simple : de gauche à droite on a : d) marbre ; a) bande de gneiss ; b) marbre et dolomie contenant une bande de l'Eozoon ; c) diorite et gneiss. Les roches à serpentine et à diopside de Stansfiled qui faisaient écran entre le marbre et la diorite n'apparaissent pas ici.


Fig. 5. - Stansfield (1913). La «route 321» au début du XXe s., au nord du lac Allard (aujourd'hui lac Charlebois). L'Eozoon se trouve dans la colline à gauche (au NW à l'ouest) du chemin. Ajout (25 mai 2017) : la maison blanche, selon M. Fisher et Mme Dambremont, serait celle de Gilbert Lavigne qui apparaît sur la fig. 3, voir billet du 23 mai 2017


Fig. 6. - Approximativement le même endroit que la fig. 5. Le secteur a un peu changé en 100 ans. Photo : Google. Ajout (24 mai 2017). - La photo de la fig. 5 a été prise en réalité un peu plus au nord. Voir la contribution de Brian Fisher, de Ripon, à ce blogue dans le billet du 23 mai 2017.


Fig. ajoutée (8 févr. 2017). - Détail de la carte de Faessler (1948). À cette échelle, les bandes de diopsidite et de serpentinite sont confondues dans le marbre.
Légende simplifiée
Jaune : Quaternaire
Grenville
1 (bleu) marbre ; 4 (ocre) gabbro, diorite et syénite ; 5 (pâle) syénite et granite.
Les routes 317 et 321 modernes sont indiquées ; l'Eozoon est dans le marbre (bleu), au NW du lac Allard (lac Charlebois d'aujourd'hui). Les lignes au crayon de plomb font partie du fichier original.


Références

  • Dawson, J. W. (1865). «On the structure of certain organic remains in the Laurentian limestones of Canada». Quart. J. Geol. Soc. 21: 51–59. doi:10.1144/GSL.JGS.1865.021.01-02.12 https://dx.doi.org/10.1144%2FGSL.JGS.1865.021.01-02.12
  • John William, Sir Dawson, [1875], Life's Dawn on Earth : Being the history of the oldest known fossil remains, and their relations to geological time and to the development of the animal kingdom. London, Hodder & Stoughton, 27, Paternoster Row. MDCCCLXXV. Butler & Tanner. The Selwood Printing Works, Frome, and London.
  • Sir J. William Dawson, 1888. On Specimens of Eozoon Canadense and Their Geological and Other Relations. Peter Redpath Museum, McGill University, Montreal, 106 pages.
  • Sir J. William Dawson, 1893. Some Salient Points in the Science of the Earth, Montreal, W. Drysdale And Co., with forthy-six illustrations, 500 p.
  • Faessler, Carl. Rapport géologique 33. Région du lac Simon. Comté de Papineau. Québec, Ministère des Mines, Service de la carte géologique, 1948. 33 p., avec carte 638 (1/63 360). 
  • Fossils and Geology of Lanark County, Ontario, 29 avril 2016, «A specimen of Eozoon Canadense at the Matheson House Museum in Perth, Ontario». http://fossilslanark.blogspot.ca/2016/04/a-specimen-of-eozoon-canadense-at.html
  • Hofmann, H.J., 2004. «Precambrian fossils in Quebec», in: G. Prichonnet and M.A.Bouchard (éd.), Actes du premier colloque du patrimoine géologique du Québec, Géologie Québec, MB 2004-05, p. 109-113.
  • Hofmann, H J, 1971. Precambrian fossils, pseudofossils and problematica in Canada, Commission géologique du Canada, Bulletin 189, 146 pages (5 feuilles), doi:10.4095/123948
  • Rothpletz, August, 1916, Über die systematische Deutung und die stratigraphische Stellung der ältesten Versteinerungen Europas und Nordamerikas mit besonderer Berücksichtigung der Cryptozoen und Oolithe. II. Über Cryptozoon, Eozoon, und Atikokania; Abhandl. Bayer. Akad. Wiss., Math-Physik. Kl., vol. 28, no 4, 92 p. http://www.zobodat.at/pdf/Abhandlungen-Akademie-Bayern_28_0001-0092.pdf
  • J. Stansfield, 1913. «Mineral Deposit of the Ottawa district, Excursion A10», in : Geological Survey, Guide book no.3, Excursions in the neighbourhood of Montreal and Ottawa : excursions A6, A7, A8, A10, A11, Ottawa : Government Printing Bureau, 1913, 162 p. (with maps). http://www.biodiversitylibrary.org/ia/guidebooksofexcu03inte#page/5/mode/1up
  • Trzcienski, W.E., Jr., Hofmann, H.J., and Poirier, G., 1997. Inquest of the metamorphic pseudofossil Eozoon canadense in marbles of the Grenville Supergroup, Quebec: pressure- temperature conditions for the so-called canals, Geological Association of Canada-Mineralogical Association of Canada, Joint Annual Meetings, Abstracts, 22, A-149

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