lundi 2 avril 2018

Que reste-t-il du Vieux-Hull ?


Alors qu'une nouvelle menace plane sur le Vieux-Hull – érection possible d'un couple de tours géantes – deux livres arrivent à point pour nous rafraîchir la mémoire ou tout simplement nous faire prendre conscience du voile d'ignorance que nous jetons sur notre propre patrimoine. (Si le mot ignorance vous semble exagéré, je l’assume pour ma part.)

(Voir mon billet du 16 mars 2018).



« ... entre 1969 et 1974, le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau adoptait un décret pour construire dans le Vieux-Hull le complexe de la Place-du-Portage pour y construire des édifices afin d'y loger des milliers de fonctionnaires fédéraux. Au coeur de cette guerre pour l'unité nationale, 1500 maisons et commerces sont démolis et 5000 résidents du centre-ville de Hull sont expropriés. » (Hugues Théorêt, « Dehors tout le monde ! », Hier encore, no 3, 2011, p. 10-16.)

Des commerces prospères ont disparu, des familles n'ont pas trouvé à se reloger. À cela s'est ajouté des incendies fort opportuns qui ont détruit des édifices patrimoniaux : l'église Notre-Dame-de-Grâce (12 sept. 1971), l'Hôtel-de-Ville (28-29 octobre 1970)...

Que reste-t-il du Vieux-Hull ?



Le Quartier du Musée : histoire et architecture
Michelle Guitard
Les Presses de l'Université d'Ottawa
ISBN 978-276032-674-3
320 pages, 39,95 $ (papier)

Il subsiste dans le Vieux-Hull une enclave à peu près épargnée par les expropriations, démolitions, percées d'autoroutes et incendies – même le Grand Feu de 1900 (site de l'historien Raymond Ouimet) n’a pas osé y toucher. Il s’agit du Quartier du Musée – d’après le Musée canadien de l’histoire, inauguré en 1989. (Qu’il me soit permis de trouver ironique de nommer un quartier historique d’après une construction récente élevée à ses dépens.)


« Première paroisse catholique française de Hull, avec ses bâtiments institutionnels, résidentiels et commerciaux, le Quartier du Musée regroupe un ensemble de références socioéconomiques et historiques, plus particulièrement pour la société catholique et canadienne-française de la région. Un des rares témoins de la Ville de Hull d’avant 1900, son patrimoine bâti ancien reflète l’adaptation des divers courants architecturaux de la région de la capitale nationale du Canada : 53 des bâtiments de ce quartier datent d’avant 1910, alors que 44 d’entre eux précèdent l’incendie de 1900. » (Extrait de la quatrième de couverture.)

L'ouvrage de Michelle Guitard tient à la fois du guide et de l'encyclopédie. On voit passer les générations par l’énumération des legs, des ventes et les changements de vocation des bâtiments.

Mme Guitard fait un sort à l'expression « maison allumette ». Il faudrait parler de maison de style hullois, variété du style néo-gothique victorien de la fin du XIXe s. « La maison hulloise, avec sa structure de bois autoportante et son pignon sur rue, s'épanouit dans l'Outaouais. (p. 15)». Ce style s'est développée aux États-Unis et se à Ottawa, dans les cantons de l'Est et au Nouveau-Brunswick.

L'expression fait image, elle est passée dans l’usage. Il est vrai qu'elle donne mauvaise presse à un style illustré par des maisons de qualité.

Je revois les maisons de mon quartier d'un autre oeil depuis que j'ai ce livre.



La ville allumette : une enquête de Judith Allison
Maureen Martineau
vlb éditeur
ISBN 978-2-89649-732-4
392 pages, 29,95 $ (papier)

Tandis que Mme Guitard illustre et défend ce qui subsiste, Maureen Martineau nous fait voyager entre l'ère des expropriations et l'époque contemporaine. Elle étend le théâtre des opérations à toute l'Île-de-Hull, aux chutes Chaudières et aux plaines Lebreton jusqu'au Nunavik.

Son roman policier La ville allumette (quand je disais que l’expression fait image et est passée dans l’usage…) met en vedette la sergente-détective Judith Allison, venue en Outaouais suivre un stage de formation en contre-terrorisme de la Gendarmerie royale. Un stage pratique, et pas seulement théorique ! 

Les liens entre les personnages tissent un réseau complexe et imprévu. Maureen Martineau n’y va pas à l’économie, les intrigues se déploient sur plusieurs niveaux (parler ici de l’intrigue au singulier serait injuste). De vraies allumettes de la E.B. Eddy y tiennent un rôle (cf. le site les Trésors du Patrimoines).


« Alors même qu'il est un fugitif traqué, l'activiste Jacob Lebleu prépare des attentats contre Jean-Marc Courville, un promoteur immobilier sans scrupule aux projets mégalomanes. Ce dernier a notamment dans sa mire l'île de Hull et la dernière « maison allumette » de la rue Falardeau, épargnée par les grues de son père en 1969. Cette année-là, près de 6000 résidents aux moyens modestes avaient été expropriés. Lebleu, originaire de la région, ne l'a pas oublié. » (Extrait de la quatrième de couverture.)

Inuits, Algonquins, Hullois, promoteurs et parias, policiers et éco-terroristes, les Allumettières de jadis (site les Trésors du Patrimoines) (par l'entremise d'une surprenante relique) se croisent et s’entrecroisent. Le roman y trouve une épaisseur historique et humaine indéniable.

L’une des qualités principales de ce roman  est d’ailleurs de nous présenter des personnages complexes, personne n’en sort tout à fait blanc.

J’ai l’habitude de lire des romans dont l’action se passe ailleurs : Montréal, Prague, Bombay ou même la planète Mars. Pour la première fois, j’ai entre les mains un roman qui décrit des endroits qui me sont familiers, qui sont sous mes yeux chaque jour ou presque. Même le tunnel de l’ancienne gare Union d’Ottawa, fermée en 1966, fait resurgir de vieux souvenirs d’enfant…

Je ne vous raconte pas la fin, je ne voudrais pas ouvrir les vannes à l’indiscrétion.

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