lundi 7 octobre 2013

Le Trou du Diable : persuasion par compilation


Détail de la carte d'Austin (1882). Au centre, le Trou du Diable («Devil Hole»).
Titre original : Plan of the Lower Village of Hull, shewing its position relative to the city of Ottawa, the property of the heirs of the late Ruggles Wright Esquire. Surveyed by A.W. Austin, C.E., P.L. Surveyor. W.C. Chewett & Co. Lith. Toronto (1882). Bibliothèque et Archives Canada, no MIKAN 4126312. (Télécharger le pdf depuis le site de BAC.)


Lorsque j'aborde le sujet du tourbillon Trou du Diable près des chutes des Chaudières, à Hull, sur l'Outaouais, et de la «caverne» au fond de l'eau avec laquelle il communiquerait, les quelques historiens que je connais me considèrent avec le sourire en coin que l'on réserve habituellement aux cas d'incurable naïveté.

Leur diagnostique est peut-être le bon, pourtant...

Pourtant, les témoignages de gens «sérieux» ne manquent pas. Joseph Bouchette et Philemon Wright, n'étaient ni des farceurs ni des ignorants. Le premier, arpenteur de métier, officier de marine, avait la formation scientifique et technique pour juger de ces choses ; le second, colonisateur, homme d’affaires, juge de paix, etc., était un homme pratique connaissant bien la rivière et le secteur du Trou du Diable où il avait fait construire un moulin. Tous deux ont laissés des descriptions précises, comme prises sur le vif. Ce ne sont pas les seuls d'ailleurs. N'ont pas manqué de s'ajouter, bien sûr, les anecdotes plus ou moins folkloriques, mais cela n'affaiblit pas la valeur des premiers témoignages.

À défaut de convaincre par argumentation, j'espère réussir par accumulation.

Voici une petite compilation de témoignages et de descriptions.

D'abord, le nouveau témoignage (dans ce blogue du moins, puisqu'il date de 1958), celui d'Edgar Boutet. Les autres suivent dans l'ordre chronologique.

Partout, mes interventions sont entre [crochets]. J'ai engraissé certains passages.



1958

Edgar Boutet (nouveau témoignage dans ce blogue)

Le Trou du Diable

Le «TROU DU DIABLE», aux chutes Chaudières, a longtemps hanté l'imagination des anciens de Hull qui, à son sujet, ont raconté bien des légendes qui, malheureusement, ne sont pas parvenues jusqu'à nous.

Philémon [sic] Wright, pionnier du canton de Hull, fut le premier, sauf erreur, à nous en donner une description assez précise. Au début du siècle dernier les Chaudières que le «progrès» n'avait pas encore harnachées étaient une vraie merveille de la nature.


Les chutes en 1823
Voici la description que Wright nous en a laissée en 1823.

«La chute Columbia (sic) qui avoisine le village du canton de Hull est de nature curieuse. Une chaîne de rochers, qui s'étend d'un bord à l'autre de la rivière, force l'eau de tomber perpendiculairement de la hauteur de 30 pieds [9 m]; et au haut de cette chute se trouvent trois îles, dont l'une sépare le cours d'eau et fait qu'une quatrième partie de cette eau s'éloigne, tant soit peu, de son cours naturel et vient se décharger dans un abime immense lequel a été sondé jusqu'à la profondeur de 113 pieds [34 m] ; cette eau se perd ensuite dans les entrailles de la terre, et personne n'a pu découvrir ou finalement cette eau se décharge...

Cette caverne entraîne vers elle aux hautes eaux du printemps une quantité d'arbres et de bois, et il est surprenant de voir avec quelle vélocité ces bois tournent à l'entour du gouffre, et ce par la force de l'eau qui forme et rassemble une quantité prodigieuse d'écume et brisants de l'épaisseur de six ou huit pieds [1,8 m et 2,4 m].»


Le trou du diable
Mais pourquoi le «trou du diable». Très probablement parce que, pendant de nombreuses années, on disait que celui qui tombait dans ce trou était perdu à jamais.

Benjamin Sulte[1], dans un mémoire à la Société Royale du Canada, écrivait en 1924 : «L'on croit généralement que tout objet jeté dans cette ouverture disparaît à jamais ou ne réapparaît que deux milles [3,2 km] plus bas dans la rivière près de l'embouchure de la Gatineau.»

«Un vieux résidant m'a raconté qu'il se rappelait que des garçons pêchaient dans ce trou avec 180 pieds [55 m] de ligne munie d'un plomb de deux livres [0,9 kg] et prenaient d'énormes poissons-chats de cheval.»

«Il m'a raconté aussi que lorsque l'on a construit des moulins à cet endroit un cheval et une charette tombèrent dans le trou et disparurent.»


Ses victimes
«La charrette revint à la surface mais on ne revit jamais le pauvre cheval, la théorie étant qu'il avait été dévoré par les trop nombreux poissons-chats.»

Le 16 juillet 1894 un garçonnet de six ans du nom de Brisebois dont les parents habitaient la «Petite Ferme» se noie dans le «Trou du diable» et ne fut jamais retrouvé.

Et l'on raconte que M. Millen, ancien président de la compagnie E. B. Eddy, est lui-même tombé dans le trou. Il fut heureusement sauvé d'une mort certaine par la courageuse intervention d'un M. Fabien Soulière.

En septembre 1890 un remous se forme dans l'amas de bran de scie et de planches qui tourbillonne à la surface du gouffre qui soudainement se vide partiellement. Mais jamais depuis le «Trou du diable» s'est ainsi vidé.


Son secret
Comme on l'imagine bien personne ne fut assez téméraire pour tenter d'arracher son secret au «Trou du diable» qui exerçait sur tous les esprits une influence presque terrifiante. Si bien que l'on répétait, en y croyant dur comme fer, que le trou avait attirer dans son tourbillon plus d'une centaine de victimes. C'était naturellement des propos exagérés dont est friande la rumeur publique.

Mais il devait arriver qu'un jour le «Trou du diable» fit une dernière victime et ce jour-là son secret fut révélé.

[1] Le texte de Sulte est en fait la reprise de celui d'Edgar (1898), cité plus bas.
Source : Edgar Boutet, journal Le Droit, Ottawa, 29 mars 1958, repris dans Asticou, cahier no 37, décembre 1987, p. 23-24.



1826*

John McTaggart, ingénieur

Déjà paru dans le billet du 7 juillet 2013.

«En 1826, l'ingénieur John McTaggart qui avait travaillé à la construction du premier pont sur les Chaudières, a rapporté qu'à un certain endroit il a fait des sondages jusqu'à 300 pieds [90 m] de profondeur sans atteindre le fond de la rivière.»

Source : Joseph Jolicœur, Histoire anecdotique de Hull, La Société historique de l'ouest du Québec, Inc., 1977, p 38.

* Ce qui bat le record d'ancienneté de 1832 de P. Wright invoqué plus haut (texte de Boutet (1958)).



1832

Philemon Wright (lien plus haut), fondateur du comté de Hull

Voir le texte de Boutet (1958), plus haut.



1832

Joseph Bouchette (lien plus haut), arpenteur

Déjà paru dans le billet du 15 décembre 2012.

«Above the falls the river is about 500 yards [455 m] wide, and its scenery is agreeably embellished by small grove-clad islets, rising here and there amidst the waters as they gently ripple by or rush on with more or less violence, to the vortex of the Great and Little Chaudière. The bed of the river is composed of horizontal strata of limestone, and the chute is produced by its deep and sudden subsidence, forming broken, irregular, and extraordinary chasms, one of which is called the Great, and the other, the Little Kettle or Chaudière. The former derives its name from its semicircular form and the volume of water it involves; but the latter bears no similitude to justify its appellation, the waters being precipitated into a broad, elongated, and straight fissure, extending in an oblique position north-west of the Great Kettle, and being thus strikingly contrasted with it.

The principal falls are 60 feet [18 m] high, and their width is measured by a chord of 212 feet [65 m]. They are situated near the centre of the river, and attract by their forcible indraught a considerable proportion of the waters, which, strongly compressed by the circular shape of the rock that forms the boiling recipient, descend in heavy torrents, struggling violently to escape, and rising in spay-clouds which constantly conceal the lower half of the falls, and ascend at irregular intervals in revolving columns much above the summit of the cataract.

The Little Chaudière may without much difficulty be approached from the Lower Canada shore, and the spectator, standing on a level with the top of the fall and on the brink of the yawning gap into which the floods are headlong plunged, surveys the whole length of chute and the depths of a cavern. A considerable portion of the waters of the falls necessarily escapes subterraneously after their precipitation, as much greater volume is impelled over the rock than finds a visible issue. Indeed this fact is not peculiar to the Little Chaudière, but is one of those curious characters of this part of the Ottawa of which other singular instances are observed; the waters in various places being swallowed by deep but narrow rents and fissures, leaving their natural bed almost dry, to dash on through some subterranean passage that defies the search of the explorer.»

Source : Francine Brousseau, Historique du nouvel emplacement du Musée national de l'Homme à Hull, Musée nationaux du Canada, coll. Mercure, Histoire no 38, Ottawa, 1984, p. 11 et 15 ; c'est moi qui ai engraissé des passages.) J'ai rétabli quelques coquilles d'après un pdf du texte original : J. Bouchette, The British Dominions in North America [...], p. 191-192.] http://archive.org/details/cihm_48011



1898

J.D. Edgar

Déjà paru dans le billet du 15 décembre 2012.

«A few hundred feet east of the Great Chaudière, a portion of the waters of the Ottawa falls into a weird and mysterious chasm in the rock, known as the ''Devil's Hole.'' One marvel connected with the place is the popular belief that it is a bottomless pit, and another is the fact that anything thrown into the hole disappears, or only appears again two miles [3,2 km] down the river, where there is an intermittent upheaval of the waters near the mouth of the Gatineau.

An old resident has told the writer that he remembers boys fishing in the hole with 180 feet [55 m] of line and sinkers two pounds [4,4 kg] in weight, and catching huge channel catfish. He also stated that when the mills were being built at this point, a horse and cart fell into the hole and disappeared. The cart was thrown up at the usual outlet down the river, but the poor horse was never seen again - the theory being that the catfish were too many for him. The mills have profanely crowded over the edge of the Devil's Hole, and the subterranean outlet has probably been almost closed by the broken fragments of rock and debris thrown in from the blasting out of artificial channels. Yet any passer-by can still look down from the roadway on the Hull side of the bridge [pont des Chaudières], and see the waters foaming far below in the mysterious depths where the Indians believed an evil spirit dwelt (J.D. Edgar, 1898, p. 6-8).»

Source : J.D. Edgar, The Story of... Canada & its Capital, Morang & Co. Limited, Toronto, 1898, 217 p.



1940

Anonyme

Déjà paru dans le billet du 7 juillet 2013.

«Au cours de l'été 1940, Aimé Lapointe, plongeur renommé de Wrightville [quartier de Hull], est descendu à une profondeur de 75 pieds [23 m] dans le [Trou du Diable] qu'il a pu explorer à loisir jusqu'à l'endroit où se trouvait l'automobile dans lequel [sic] il a trouvé le cadavre de Gorman Edwards, d'Ottawa.»

Source : Joseph Jolicœur, Histoire anecdotique de Hull, La Société historique de l'ouest du Québec, Inc., 1977, p. 56.



2004

Pierre-Louis Lapointe, historien

Déjà paru dans le billet du 15 décembre 2012.

«Car il s'agit bien de trois chutes d'eau; la Grande Chaudière, la Petite Chaudière et le trou du Diable, surtout, dont les eaux, emprisonnées dans un repli escarpé de la rivière, tournent sans fin, tourbillonnant et entraînant comme dans un entonnoir tout ce qui a le malheur d'être aspiré par son siphon. Un passage souterrain évacue ces eaux, qui surgissent plus loin, en aval, au fond de la rivière.»

Source : Pierre-Louis Lapointe, L'île de Hull : une promenade dans le temps, coll. «100 ans noir sur blanc», Les Éditions GID, 2004, p. 38.

2 commentaires:

  1. Cartes, mesures, descriptions, témoignages informés, anecdotes, perso je suis compilé comme il faut...

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    1. Le truc, quand on est pas convaincant, c'est d'être insistant. ;)

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