mardi 23 juillet 2013

Hull : moraines et vieux papiers (révisé)


NOTE. – L'hypothèse que les blocs de calcaire dont les photographies sont reproduites ici soient des vestiges de moraines qui existaient encore au début du XXe s. à Hull (Québec) est personnelle. Bien que parfaitement défendable, à mes yeux du moins, d'autres preuves sont nécessaires pour l'étayer plus solidement. 
Billet révisé le 24 juillet 2013.



Fig. 1. – Partie sud de l'Île-de-Hull (Gatineau)
À gauche, ruisseau de la Brasserie ; au sud, peu visible, l'Outaouais. En rouge : sites photographiés. Ligne pointillée bleue : axe des moraines des Allumettières ; les indications d'Ells (1901) et de Wilson (1898) manquant de clarté, le tracé est approximatif ; j'ai confondu en une seule les moraines sud et nord que très peu de distance séparait (60 m). Surface verte à droite des numéros : parc Fontaine (ancien lac Flora). Fond de la carte : modifié de © Google.
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L'utilité des vieux documents

On trouve dans l'Île-de-Hull (Gatineau), dans le secteur du boulevard des Allumettières, deux occurrences de blocs de calcaire plats ou allongés. Le till local étant d'une extrême minceur (moins d'un mètre), il est assez difficile d'expliquer la présence de ces pièces de roc dont les dimensions dépassent les deux mètres. Il est douteux que des gens se soient amusés à débiter et transporter de pareilles dalles depuis l'une des carrières de calcaire en exploitation au début du XXe s. à Hull (cf. billet du 10 juillet 2013). Les blocs, à patine chamois, sub-arrondis à anguleux, me semblent d'origine naturelle.

Leur présence constituait pour moi une énigme jusqu'à ce que d'anciens documents sur la géologie locale (Ells, 1901 ; Wilson, 1898) me (re)tombent sous les yeux. Entre autres développements, on y décrivaient deux crêtes de dépôts meubles, ou deux moraine-like ridges, orientées est-ouest, et situées exactement à l'endroit où il le fallait, du moins de mon point de vue.



Fig. 2. – Site 1. Blocs de calcaire plats ou allongés utilisés dans un vieux mur, boulevard des Allumettières, à Hull (Gatineau). Noter la patine brunâtre et l'aspect sub-arrondi. À gauche, un bloc a été scié pour laisser place au muret du trottoir (détail fig. 8). La patine et surtout l'émoussé écartent la possibilité qu'ils aient été extraits d'une des carrières autrefois exploitées à Hull. Dans ce cas, leur aspect aurait été plus anguleux, et sans doute plus frais. (Nov. 2012.)
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La crête sud, la plus longue, haute de 4 m et d'une largeur qui atteignait 60 m, s'étendait en segments discontinus à partir de la rue Saint-Rédempteur* (Chaudiere Street à l'époque) jusqu'au nord du lac Flora (actuel parc Fontaine) (voir fig. 1). Elle était composée de blocs de calcaire plats et anguleux, empilés en couches inclinées vers le sud, surmontant l'argile marine et le till glaciaire.

* Le nom de cette rue n'apparaît pas sur la carte : il s'agit de la rue à l'ouest de la rue Eddy.

L'autre crête, 60 m au nord, constituée de blocs erratiques arrondis provenant du Bouclier canadien proche (gneiss, granite), s'étendait vers l'est à partir du ruisseau de la Brasserie. Wilson (1898) signale d'autres crêtes semblables à celle-ci au nord de l'île, mais sans préciser d'avantage.

«These ridges [les crêtes nord et sud] can be traced across the portion of the city north of Lake Flora and are conspicuous features in this area (Ells, 1901, p. 18G)



Fig. 3. – Site 2. Blocs de calcaire révélés par la démolition d'une maison. (Juillet 2013.)
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Fig. 4. – Site 2. Les blocs les plus volumineux doivent atteindre, à vue de nez, 3 m de long. Je ne peux évidemment pas jurer qu'ils sont bien ceux de la moraine sud ni que, avenant que ce soit la cas, qu'ils n'aient pas été dérangés de leur position primitive avant d'apparaître ainsi au grand jour. Résultat du démantèlement d'un élément du socle par la machinerie ? Il y aurait partout des éclats frais et anguleux... (Juillet 2013.)
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Boulevard éponyme

Le tracé de la crête sud se confond à peu près avec celui du boulevard des Allumettières (jusqu'à récemment boulevard Saint-Laurent). Autant dire que tout est détruit et nivelé... L'autre, au nord, est sur le site d'une ancienne carrière exploitée dans la première moitié du XXe siècle (P6 sur ma carte des carrières, billet du 10 juillet 2013, lien plus haut). L'endroit est à présent une sorte de parking, au sud de l'aréna Robert-Guertin. Là encore, il serait vain d'espérer retrouver quelque chose.

Les photos aériennes les plus anciennes que j'ai pu consulter sont déjà trop tardives (1925, 1930) et aucune carte, géologique, topographique ou autre, ne montre quoi que ce soit de particulier à l'emplacement des crêtes-moraines.

Les moraines étant demeurées anonymes, je les baptise Moraines des Allumettières. Ce boulevard éponyme distribue décidément son toponyme à de multiples trouvailles géologiques (cf. billets sur la Marmite des allumettières et la Faille des Allumettières.)



Fig. 5. – Site 2. Le bloc central fait un peu moins de 2 m de large. Il semble y avoir plus d'une génération de blocs sur le site. Une, à patine chamois, présente des contours émoussés (fig. 7), et une autre, visible ici, aux surfaces raboteuses et aux coins anguleux, a conservé le gris original du calcaire sous une couche de saleté. (Juillet 2013.)
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Les blocs calcaire, plats, pouvaient mesurer jusqu'à 3 m de long et presque autant de large, selon Wilson (1898) qui les décrits comme anguleux. Ils étaient d'origine locale (calcaire Trenton et Black River) et avaient peu «circulé», étant donné l'absence d'usure.

Ceux que j'ai vu pourraient être décrits comme sub-arrondis - arrondis (site 1) à sub-anguleux et anguleux (site 2). Les pierres étaient peut-être plus variées que ne l'affirmait Wilson sur la foi d'une coupe unique (plus bas) ou les blocs du site 1 ne proviennent pas de la moraine, contrairement à mon hypothèse.



Désordre dans la stratigraphie ?

Wilson (1898) donne une coupe de la «moraine-like ridge» sud :


  • 5) Blocs de calcaire + sable et gravier + quelques blocs arrondis de granite, etc. : 2,4 m
  • 4) Sable fin + gravier : 0,6 m
  • 3) Argile Leda bleuâtre [mer de Champlain] : 0,4 m
  • 2) Argile à blocaux [till glaciaire] : 0,9 m
  • 1) Socle calcaire poli (stries glaciaires S60°E) : 0 m
  • Total : 4,3 m


L'embêtant est de voir les blocs de calcaire de la moraine (5) qu'on supposerait appartenir au till glaciaire (2) surmonter le sable (plage ?) et l'argile de la mer de Champlain (4 et 3), lesquels surmontent, comme il se doit, le till glaciaire. Comme les blocs devraient normalement être en position 3 ou, même, inclus dans la couche 2, il faut supposer que leur accumulation est un événement non seulement postérieur au retrait des glaces (il y a 12 000 ans dans la région), mais aussi au départ des eaux de la mer de Champlain (il y a 10 000 ans, toujours dans la région).

Wilson suppose, pour expliquer cette anomalie, un retour du glacier (retour non documenté par ailleurs en cet endroit) ou l'action d'une embâcle de glace sur l'ancêtre de l'Outaouais, plus volumineux que la rivière actuelle, après le départ des eaux marines (voir billet du 7 nov. 2009 sur la Marmite des Allumettières, lien plus haut).

NOTE (24 août 2013). – L'hypothèse que les blocs des sites décrits ici proviennent de la moraine sud m'avait semblé raisonnablement étayée par deux arguments. D'abord, la proximité des deux sites avec la moraine sud – sans parler de la possibilité qu'ils aient été recouverts par la moraine, étant donné le flou sur son emplacement exact et sa largeur (60 m) –, ensuite, le fait, affirmé par la carte 1506A de la CGC (Richard, 1982), que le till les dépôts glaciaire quaternaires ne dépassaient pas deux  un mètre dans l'Île-de-Hull, ce qui fait une couverture un peu mince pour contenir de si gros blocs. Le second argument était un peu fragile, j'en convenais déjà moi-même – rien n'empêche la présence de gros blocs disséminés dans un till mince –, est rendu caduc par le fait que d'autres cartes, de la CGC ou d'autres organismes, indiquent, au contraire, que les dépôts quaternaires (non divisés, mais surtout till et sables du proto-Outaouais) peuvent atteindre jusqu'à 3 dans le secteur des moraines et, localement, 9 m. (Voir le billet du 10 août 2013.)
Ceci n'infirme pas nécessairement mon hypothèse. Rien n'empêche que les blocs puissent provenir de la moraine sud, mais celle-ci n'apparaît plus comme la source unique et obligatoire de gros morceaux de calcaire.
Réf. S.H. Richard, 1982 – Surficial geology, Ottawa, Ontario-Québec / Geologie de surface, Ottawa, Ontario-Québec. Commission géologique du Canada, carte série «A», 1506A, 1 feuille (1/50 000).



Fig. 6. – Site 2. Des blocs sub-arrondis encore en place sont visibles au fond. Bien sûr, rien ne prouve qu'ils soient à leur emplacement primitif, tels qu'ils étaient dans la moraine sud (s'ils proviennent bien d'elle).... (Photo juillet 2013.)
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La crête nord, où se sont accumulés des blocs arrondis de gneiss et de granite provenant du Bouclier canadien tout proche (à 4 km au NW), ne cause aucun casse-tête d'ordre stratigraphique et ferait une moraine frontale* convaincante. Wilson précise que deux excroissances s'en échappaient à angle droit, vers le sud. Autant de détails qu'on ne pourra jamais vérifier.

* Moraine frontale : accumulation de débris sur le front d'un glacier construite lors d'une pause de la glace dans son retrait.



Fig. 7. – Site 2. Gros plan à travers la clôture. Tout ça n'a pas l'air tout neuf... (Juillet 2013.)
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L'utilité des travaux récents

Sharpe et Pugin (2007 ; stop 3, p. 20-26) ont décrit un champ de blocs de calcaire (1-1,5 m) épars à l'est d'Ottawa. Même si leur histoire semble compliquée (par ex., un épisode d'érosion par les eaux sous-glaciaires*), ils reposent entre le till et l'argile de la mer de Champlain (et sont à l'air libre là où l'argile a été érodée), et non pas sur cette dernière au dessus d'elle.

* L'hypothèse d'un épisode d'érosion par des torrents sous-glaciaires a été évoquée pour expliquer la formation de la Marmite des Allumettières. (Voir le billet du 7 nov. 2009, lien plus haut.)

Une énigme en chasse une autre

Si l'énigme de la présence de blocs de calcaire près du boulevard des Allumettières semble peut-être résolue, celle de leur position au dessus de l'argile de la mer de Champlain persiste.

Il arrive qu'on ne résolve pas tout à fait un mystère, on ne fait que l'enrichir. Ou le compliquer. Pour continuer à en parler...


Références

  • Ells, R.W., «Report on the Geology and Natural Resources of the Area included in the Map of the City of Ottawa and Vicinity», GSC, Annual Report, Part C., Vol. XII, no. 741, 1901.
  • D. Sharpe et A. Pugin, Glaciated terrain and erosional features related to a proposed regional unconformity in Eastern Ontario: Field trip Guide Book, GSC, Open File 5596, 2007, 44 p.
  • Wilson W.J., «Notes on the Pleistocene Geology of a Few Places in the Ottawa Valley», The Ottawa Naturalist, vol. XI, March 1898, no. 12, p. 209-220.

Ajout (23 juillet 2013)


Fig. 8. – Site 1. Non, il ne s'agit pas de ce qu'on appelle une coupe géologique. Il fallait laisser place au trottoir neuf du boulevard des Allumettières et à la gens piétonnière (dont je fais partie). (Nov. 2012.)
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Ajout (24 juillet 2013)

Curieux ces trois blocs pris dans le mur mitoyen des fondations, comme des museaux qui dépassent du béton (X rouges). Ils ont été coupés au raz du mur depuis – voir la figure 5.


Fig. 9 – Site 2. Photo déc. 2012.
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