mercredi 19 décembre 2012

Chutes des Chaudières : leur origine


Les chutes des Chaudières sur la rivière des Outaouais : à l'arrière-plan, au nord, Hull.
William James Topley (1845-1930), Chaudière Falls/Chutes de la Chaudière, ca. 1878-1882. 
Bibliothèque et Archives Canada, PA-012546.


La question de l'origine des chutes des Chaudières ayant été soulevée dans mon billet du 5 décembre 2012, je me suis vite tendu compte que ce genre de préoccupations n'obsède les géologues actuels. Il faut creuser les couches du savoir et exhumer de vieux textes pour espérer rapporter quelques renseignements à la lumière.

Les travaux les plus récents qui traitent de la question datent des années... 1910. Je ne parle évidemment pas de ceux qui ont repris ces textes par la suite dans leurs propres productions, comme je suis en train de la faire ici.

Un lit neuf (et accidenté) pour l'Outaouais
«[...] the main features of the bedrock topography [de la région d'Ottawa] are pre-Glacial in origin and were not greatly modified by glacial erosion (Johnston, 1917 ; p. 7)

Au Tertiaire (65 - 2,6 millions d'années), une longue période d’érosion a modelé les grands traits de la topographie régionale que les glaciations du Quaternaire se sont contentées de retoucher ensuite. C'est à cette époque que nous devons les cuestas – plateaux présentant une falaise abrupte au nord et une pente adoucie vers le sud – qui se dressent sur la rive droite de l'Outaouais, échelonnées de distance en distance à mesure que l'on s'éloigne du Bouclier canadien, au nord de Hull (Gatineau) :

«[The cuestas] are largely independant of the [local] faults and clearly owe their origin to differential weathering and stream erosion (Johnston, 1917 ; p. 8)

On sait que l’Outaouais, dans le secteur des Chaudières, coule sur un lit «tout neuf», inauguré après que les grandes glaciations soient venues perturber le paysage. L’actuelle rivière a commencé à tracer son chemin dans l’argile de la mer de Champlain, il y a 10 000 ans, avant de déblayer le till glaciaire sous-jacent et rebondir enfin sur un socle rocheux dénudé, mal adapté à l’écoulement paisible des eaux. D’où de multiples rapides et les chutes des Chaudières. (Voir mon billet du 5 décembre 2012, lien donné plus haut).

«The Ottawa river in the vicinity of Ottawa flows [...] at the base of the limestone escarpment fronting the old land to the north [Bouclier canadien], and occupies a post-glacial channel in the sense that the probable pre-glacial course of the Ottawa or its predecessor was several miles to the south, where well borings show the presence of a broad, deeply drift-filled valley*. The limestone escarpment, however, is believed to be for the most part pre-glacial in origin and due to stream erosion through a protracted period in pre-glacial times.

In post-glacial time it is probable that the Ottawa river has cleaned out and somewhat deepened the old valley in the vicinity of Ottawa, and the steepwalled gorge which extends for a short distance below the Chaudière falls is evidently due to post-glacial erosion (Goldthwait et al., 1913 ; p. 133)

* La question du lit original, ou pré-glaciations, de l'Outaouais est une toute autre histoire. Affaire à suivre.


Les chutes des Chaudières sur la rivière des Outaouais. (Sans date.)
À l'arrière-plan, le pont ferroviaire Prince-de-Galles, construit en 1880, 
et les îles qui suivent le tracé de la faille Hull-Gloucester.
William James Topley (1845-1930), Chaudière Falls/Chutes de la Chaudière, ca. 1878-1882. 
Bibliothèque et Archives Canada, PA-011378.


Les chutes reculent
«The principal fall in the Ottawa river occurs at Chaudiere falls at Ottawa where the water falls over a low escarpment of Trenton [Ordovicien] limestone. A series of narrow gorge-like channels below the falls, the largest one being occupied by the main volume of the river, shows the distance the falls have receded in post-Glacial time. The total distance is only about one-quarter mile [400 m]. The maintenance of the falls is owing to the well jointed character of the rocks which permits large masses to be separated by widening of the joints and finally to be worn away, leaving a still nearly vertical front over which the water falls. The general uniformity of hardness of the beds, however, has prevented a rapid recession of the falls (Johnston, 1917 ; p. 8-9).»

À l'ouest des chutes, la faille Hull-Gloucester – ou plutôt le faisceau de failles que l'on regroupe sous ce nom (voir mon billet du 5 déc.) – a plissé et redressé, sur les deux rives et les îles qui suivent son tracé, les lits autrement horizontaux du calcaire Trenton. Un rejet de 15 à 18 m a pu être mesuré*. Plus au S, le rejet de la faille Hull-Gloucester peut atteindre 550 m.

* Évitons tout malentendu ici. Ce n'est pas un rejet semblable qui serait à l'origine des chutes des Chaudières. Ces failles ont joué il y a bien longtemps – peut-être 100 millions d'années – et l'effet de l'érosion a été d'aplanir les différences de niveaux qui ont pu exister entre les compartiments de part et d'autre des fractures du socle rocheux.

Voir mon billet sur la failles des Allumetières qui doit appartenir à la «famille» de la faille Hull-Gloucester et qui présente, tout comme elle, un abaissement du compartiment NE.

Et la caverne ?
Aucun de ces textes ne parle de la fameuse caverne sous les chutes. J'en arrive à croire que ce n'est qu'une légende. Pourtant, Bouchette, qui, à défaut de la décrire, en a parlé (voir mon billet du 15 décembre 2012), était un arpenteur aussi sérieux que messieurs Goldtwaith, Johnston et Keele étaient de distingués géologues...


RÉFÉRENCES
  • W.A. Johnston, Pleistocene and Recent Deposits in the Vicinity of Ottawa, With a Description of the Soils. Commission géologique du Canada, Mémoires 101, 69 pages, 1917, avec carte 1662 (1/63 360).
  • J.W. Goldthwait, J. Keele and W.A. Johnston, Excursion A10. Pleistocene : Montreal, Covey Hill and Ottawa, in : Geological Survey, Guide book no.3, Excursions in the neighbourhood of Montreal and Ottawa (excursions A6, A7, A8, A10, A11), Ottawa : Government Printing Bureau, 1913, 162 p. (with maps).

NOTE. – Ce billet comportait une suite que j'ai supprimée puisqu'elle faisait double emploi avec le billet du premier janvier 2013 qui offre une sorte de synthèse sur la question de l'origine des chutes des Chaudières. Je vous invite à aller le consulter.

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