vendredi 3 août 2012

Laves à Low ?


Vue de la Gatineau depuis le barrage Paugan, à Low. Paragneiss sombre, à gauche, et marbre blanc, à droite. (Juillet 2010.)


Une étrange légende urbaine (rurale, plutôt), semble courir à propos des «roches noires» des environs du barrage Paugan, à Low, sur la Gatineau. (Voir cet ancien post.)

Selon plusieurs personnes – entendues à la télévision et dans des conversations privées – il s'agirait de laves, de basaltes, précisent certains.

Or, les cartes géologiques de l'endroit indiquent, pour ces affleurements, du paragneiss (mêlé à des quantités mineures de quartzite et de migmatites). Voir celle-ci par exemple :


Carte de la région de Low et de Paugan Falls (Mauffette, 1950) : détail. – La flèche rouge indique l'endroit où j'ai pris mes photos, au sommet du déversoir du barrage Paugan. On distingue la partie sud du lac Sainte-Marie (le «Réservoir» – l'altitude du plan d'eau est donnée en pieds : 460'', soit 140 m).

LÉGENDE (adaptée)
Échelle : 1 mille = 1609 m.
Pléistocène et Récent :
Trame pointillée : gravier, sable, argile
Précambrien :
Intrusions du post-Grenville. – Trame en X : syénite et granite ; traits noirs épais *: dykes de diabase
Série de Grenville. – Hachures horizontales : marbre / hachures obliques : paragneiss / Q : quartzite

* Deux petits affleurements de ces dykes sont visibles sur ce détail sous la forme de courts traits noirs ; l'un traverse la route 1/2 mille au nord de Low, l'autre touche la rive est de la Gatineau immédiatement au sud de Paugan Falls.

Le chiffre 5 dans un cercle, environ 3/4 de mille au SE de Paugan Falls, indique la présence d'un gisement d'amiante (asbestos). Le chiffre 4, plus au sud, un gisement de mica.



Noir, c'est noir, mais pas toujours
Paragneiss et quartzite sont des sédiments métamorphisés (recristallisés sous hautes pressions et hautes températures à grandes profondeur), argiles diverses pour le paragneiss, sable pour le quartzite.

À l'origine et au départ donc, nulle lave, basaltique ou non, ici.

Les «roches noires» de Paugan sont trop visibles, trop accessibles, depuis trop longtemps connues et cartographiées pour que plusieurs générations de géologues se soient trompées sur leur nature.

D'ailleurs, elles ne sont pas vraiment si noires que ça, mais altérées et noircies, et seulement en surface (rouille, météorisation).


Vue rapprochée du paragneiss ; le rubanement, vestige du litage horizontal originel des sédiments, a été redressé à la verticale par la tectonique. (Juillet 2010.)


Détail du marbre, tout aussi «vertical» (voyez les bandes grises et blanches sur le flanc de la roche là où elle est fracturée) que le paragneiss dont des éléments épars ont été promenés et dispersés dans la matière ductile du premier. (Juillet 2010.)


Couché et debout
Sur les photos, on voit que des morceaux du paragneiss ont été emportés dans la masse du marbre ; le contact paragneiss/marbre n'est pas tel qu'il était à l'origine (horizontal), mais tel que l'ont transformé les pressions et triturations qu'ont subi ces roches il y a un milliard d'années. On observe ainsi que le litage original des ces roches, horizontal, a été redressé par les forces tectoniques et qu'il est à présent à la verticale.

Les contacts intermixés du paragneiss et du marbre ne sont donc pas l'effet d'une lave se répandant à travers les roches comme une mélasse fluide sur du gravier...

À la rigueur, s'il s'était s'agit de laves à l'origine, le métamorphisme, intense à cet endroit, aurait oblitéré leur aspect natif et les auraient transformées en amphibolites, roches noires (vraiment noires) qui se retrouvent effectivement dans la région. L'ennui, c'est qu'il faut des analyses chimiques pour distinguer une amphibolite d'origine volcanique d'une autre d'origine sédimentaire.

Sauf qu'il ne s'agit pas d'une amphibolite ici, mais de paragneiss.


Détail du contact paragneiss sombre/marbre clair. (Juillet 2010.)


Le dernier mot
Il existe bien dans la région des dykes de diabase, roche sombre plus ou moins apparentée au basalte/gabbro, mais ces dykes sont minces et «récents» (600 millions d'années ; voir ce billet dans ce blogue), ils n'ont subi aucune déformation et ils ont découpé leurs roches hôtes comme à la scie, tout droit, selon une direction est-ouest.

Il ne s'agit pas de ça non plus ici.

Je suppose que quelqu'un, trompé par la couleur noire apparente des roches en contact avec le marbre, leur non moins apparente intrusion dans la roche claire, a supposé qu'il s'agissait de coulées de laves. Ses propos ont été repris par d'autres qui les ont répétés à leur tour...

Mais laissons le dernier mot à des géologues professionnels :

«La partie ouest de l'affleurement est composée d'un marbre blanc, formé à 95 % de calcite, tandis que la partie est se compose d'un gneiss calco-silicaté noir, entremêlé de fins lits de quartzite. De petites lentilles (30 à 50 cm) de sulfures massifs, probablement de la sphalérite et de la galène, sont présentes dans le gneiss.» (CIGG, p. 123)

Ces sulfures expliquent l'altération rouillée que présente le gneiss.

Bref, pas de lave. Je vous le disais bien (même si j'ai laissé le dernier mot à d'autres que moi).


Photo tirée du rapport du CIGG (2003), p. 124. Le barrage Paugan vu du bas du déversoir. La légende originale dit : «Le barrage de Paugan et la zone de contact entre le marbre blanc et le gneiss.» (C'est moi qui souligne.) Le litage vertical du paragneiss, à droite, est bien visible. Les détails de la roche sont aussi moins affectés à cet endroit par les altérations de la surface : rien de tout ça ne ressemble à des laves...


RÉFÉRENCES
Centre d'interprétation de la géologie du Grenville (CIGG), Plan de développement intégré : sites et circuits du patrimoine naturel de la région de l'Outaouais, 2007, 187 p.
Mauffette, Pierre, Région de Denholm-Hincks. Ministère des Mines, Québec, rapport préliminaire no 235, 1950, 7 p., accompagné de la carte 830, échelle : 1/63 360.

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