mardi 24 avril 2012

Lac Beauchamp : petit frère et discordance

Petit avertissement en guise d'introduction
Vous ne comprendrez rien à ce billet si vous n'avez pas au préalable pris connaissance de ceux-ci, dans ce même blogue (et dans le même ordre) : «Discordance et glaces à Gatineau» et «Lac Beauchamp : l'escarpement». C'est comme ça, on n'y peut rien.

Le grand et le petit
Le désormais célèbre «affleurement de la discordance» du lac Beauchamp a un petit frère de l'autre côté de la route. Je m'en doutais depuis longtemps, mais je tenais à compléter mes observations avant d'énoncer quoi que ce soit.


1. L'affleurement de la discordance (le «grand»), déjà décrit dans ce blogue...
(Photo 14 avril 2012 ; N à droite.)

2. ... et maintenant le «petit», 50 m au SE du «grand» affleurement. 
(Photo 21 avril 2012 ; E à gauche.)

Légende commune aux deux photos
A. Granite du Bouclier canadien (un milliard d’année) ;
B. Grès de la formation de Nepean (500 millions d'années) ;
C. Entre les deux, la discordance d’érosion, bien visible uniquement sur la photo 1 (sur la photo 2, le sol meuble semble monter jusqu'au niveau de base du grès ; voir détail sur la photo 3).


Position des deux affleurements (photos 1 et 2). Carte modifiée de : CIGG, Centre d'Interprétation de la géologie du Grenville, Plan de développement intégré : sites et circuits du patrimoine naturel de la région de l'Outaouais, 2003, p. 95, fig. 6.3.
(Cliquer sur l'image pour l'afficher à sa pleine grandeur.)


Ultime précision (plus une indécision)
D'autres affleurement de granite (et/ou de quartzite *?), sans le grès pour les coiffer, sont observables le long de la rive E du lac Beauchamp, depuis «l'affleurement no 2» (carte et photos) jusqu'à une zone où le terrain marécageux et la pluie de samedi (21 avril) m'ont obligé à rebrousser chemin.(C'est pas comme ça que je vais gagner la Boussole d'or des topographes...)

Le lac Beauchamp semble donc tout entier dans le Bouclier canadien, ou «dans le Protérozoïque», comme je le suggérais dans mon dernier billet sur le sujet.

* Le quartzite de la région (constituant essentiel : quartz) contient souvent du feldspath, d'origine ou introduit. Le granite est, par définition, essentiellement composé de quartz et de feldspath. Dans certaines circonstances, comme au lac Beauchamp, je n'ose pas trop me prononcer sur la nature des roches à partir de l'observation de surfaces fraîches très limitées. 
Après examen d'échantillons ramassés au sol (je préfère ne pas abîmer les affleurements), la situation peut se résumer ainsi, sous réserve de révisions. La roche sous la discordance (photos 1 et 2) serait un granite caractérisé par un feldspath (microcline) grossier de couleur grise ; immédiatement à l'est, le long de la rive du lac, on observe une roche riche en quartz blanchâtre, semé de feldspath couleur crème (photos 4 et 5).  Si la première roche peut être qualifiée de «granite gris», la seconde me semble un «quartzite blanc». Affaire à suivre.


3. Détail de la photo 2.

4. Granite (ou quartzite ?), le même qu'en A sur les photos ci-dessus, quelques pas à l'E du site de la photo no 2. Le grès, plus haut, n'est pas visible, non plus que le contact entre le granite et ce dernier : nous sommes ici sous la discordance. (Photo 21 avril 2012)

5. Détail de l'affleurement de la photo 4 (lumière du flash). (Photo 21 avril 2012)

dimanche 15 avril 2012

Lac Beauchamp : l'escarpement


Mise en page retouchée le 21 sept. 2019. Le contenu n'a pas été modifié.


Dans la série de billets consacrés au site du lac Beauchamp, à Gatineau...
Il y a une sorte du suite qui donne peut-être l'explication de l'aspect délabré et cahotique de l'escarpement de grès décrit ici : billet du 5 octobre 2013.


Vue depuis le sommet de l'escarpement du lac Beauchamp, à Gatineau. Entre le grès de la falaise et le granite émergeant de sous la terre meuble, en bas (X blanc), il existe une différence d'âge de 500 millions d'années. Une autre discordance au parc du Lac-Beauchamp ?
(Photo 14 avril 212.)

Avertissement. – Le site décrit ici est public mais présente quelques dangers. Roches instables, crevasses, chutes, entorses, herbe à puces... Les mouches noires et les moustiques viendront plus tard, n'en doutons pas. Surtout, ne jamais photographier et marcher en même temps !

Site du parc du Lac-Beauchamp, Ville de Gatineau.

L'occasion d'examiner dans de bonnes conditions l'escarpement du lac Beauchamp à Gatineau s'est enfin présentée. Le problème n'en était pas un de distance ou d'accessibilité, mais de synchronisme entre moi, la météo et les saisons ; l'escarpement, en plein bois, n'est bien visible qu'un court moment de l'année, entre la disparition de la neige et l'apparition de la verdure.

Cet escarpement, à pic, du moins là où son démantèlement par des forces naturelles n'est pas trop amorcé, longe le lac Beauchamp à quelque distance de la rive SE qu'il rejoint presque à l'extrémité N du plan d'eau (voir la carte).

Lac Beauchamp (Gatineau) : cartographie des dépôts meubles
Détail de : Richard, S.H. (1982)
Légende (adaptée ; les éléments non essentiels à cet article n'y figure pas ; une légende plus complète a été publiée dans un ancien texte.) 
Comme le présent texte tente de le démontrer, le rose vif du Paléozoïque (R) devrait s'étendre au SE du lac Beauchamp au dépend du rose pâle (R) du Paléozoïque jusqu'à l'escarpement représenté par la ligne noire dentelée marquée par l'astérisque blanc.

Astérisque blanc : «affleurement de la discordance»
Ligne dentelée : escarpement dans la roche en place
PALÉOZOÏQUE (plate-forme du Saint-Laurent)
   R (rose) : grès et calcaire
PROTÉROZOÏQUE ou PRÉCAMBRIEN (Bouclier canadien, province de Grenville)
   R (rose vif) : roches métamorphiques et magmatiques (gneiss et granites)

Modifié de : Richard, S.H. (1982)
AJOUT 17 AVRIL 2012. — Pour plus de clarté, j'ai «corrigé» la carte selon mes vues. Que son auteur veuille bien me passer cette audace !... L'escarpement coïncide désormais avec la frontière Protérozoïque/Paléozoïque. 
AJOUT, 21 AVRIL 2012. — Tout ceci est basé sur l'examen de la section de l'escarpement située vis-à-vis de la partie N du lac, dans le bois. Aujourd'hui, j'ai examiné la rive du lac au S de cette zone. J'ai observé plusieurs affleurements décrits dans ce billet.)

La hauteur de cet accident topographique ne dépasse pas celle d'un édifice de trois étages : je suis nul quand vient le temps d'évaluer les distances et les hauteurs, il faudra vous contenter de cette estimation*... Il forme la limite NW d'un plateau de grès (grès de Nepean, Cambro-ordovicien, environ 500 millions d'années). La surface du plateau près de l'escarpement est légèrement ondulée et porte des marques d'érosion glaciaire ; stries et fractures de broutage qui indiquent toutes deux un écoulement de la glace vers le SE. Leur préservation, à cet endroit comme ailleurs dans le secteur, indique que le plateau n'a pas été sérieusement attaqué par l'érosion depuis le départ des glaces, il y a 12 000 ans.

* Il y a hauteur et hauteur... Le sol, à partir de la falaise, descend vers le lac. Si on déblayait es blocs rocheux et surtout le sol meuble au pied de la muraille, l'escarpement apparaîtrait dans ses vraies proportions. (Ajout 16 avril 2012.)

 Granite grisâtre recoupé de granite orangé. Voir la photo qui ouvre ce billet. (Photo 14 avril 2012.)

On ne peut en dire autant de l'escarpement lui-même. Près de son rebord, le grès est parcouru de diaclases et de failles ouvertes, de crevasses profondes, les unes à bords émoussés, les autres montrant des arêtes plus vives. Des disjonctions horizontales, parallèles à la stratification du grès, ont soulevé des compartiments de roche. Il résulte de ce découpage en tous sens que des blocs de dimensions considérables ont basculé les uns sur les autres, créant un chaos rocheux qui s'accumule parfois jusqu'au plateau. 

Rebord de la falaise : les failles et les diaclases sont fortement émoussées. (Photo 14 avril 2012.)

Selon les cartes géologiques, l'escarpement est entièrement contenu à l'intérieur de la formation de grès. La frontière Paléozoïque/Protérozoïque ne coïnciderait avec l'escarpement qu'à l'E du lac. (Voir la carte ci-haut – je n'ai pas examiné ce secteur.)

Crevasse dans le rebord disjoint de la falaise. Cassure franche à gauche, émoussée à droite. (Photo 14 avril 2012.)

Les quelques observations que j'ai pu faire montrent que, au contraire, la roche en contrebas de l'escarpement, entre la falaise et le lac, est constituée de gneiss et de granites. (Voir la photo qui ouvre ce billet.)

Bord de la falaise. (Photo 14 avril 2012.)

On sait que la géologie du secteur de lac Beauchamp comporte deux étages : le socle, vieux d'un milliard d'années, appartient au Bouclier canadien (gneiss, granites, etc.) tandis que la couche de sédiments qui le recouvre est constituée d'un grès de la plate-forme du Saint-Laurent, datant du Cambro-ordovicien (500 millions d'années).

Curieux, ces «bouchons» de grès isolés à la surface. (Photo 14 avril 2012.)

Au SW du lac, à l'W du secteur étudié ici, ont peu d'ailleurs apercevoir, sur «l'affleurement de la discordance», le contact entre le socle (en bas) et le grès (en haut) sur une petite falaise coupée par la route qui mène au parking. (Voir mon billet sur cet affleurement, même lien que celui donné plus haut.)

Les roches que j'ai observées au pied de l'escarpement au travers de la couche de sable et de terre meuble, un granite grisâtre, des intrusions de granite orangé, des gneiss, appartiennent au Bouclier canadien. À l'évidence, l'escarpement marque le rebord septentrional de la couche de grès et dessine la frontière Paléozoïque/Protérozoïque.

(En fait, si l'on examine bien la carte, «l'affleurement de la discordance» semble être un élément de l'escarpement du lac Beauchamp. Mieux, il en donne une coupe verticale ; partout ailleurs, la base de la falaise de grès est masquée par la terre meuble et le contact Paléozoïque/Protérozoïque n'est jamais observable.)


Le démantèlement de la falaise crée des chaos de blocs disjoints ou basculés. Ici, un pseudo dolmen, vue (très) rapprochée et vue générale. (Photos 14 avril 2012.)

L'existence de l'escarpement du lac Beauchamp devient donc un peu moins mystérieuse ; s'il était difficile d'expliquer sa présence dans le grès, on comprend qu'on se heurte tout simplement ici au rebord du «tapis» de grès qui recouvre le Bouclier. (On trouve des lambeaux isolés de grès plus au N sur le Bouclier, le long du chemin de Bellechasse, à Cantley, par exemple.)



À cet endroit, la falaise est moins élevée. Le grès se soulève en suivant le plan de stratification. (Photos 14 avril 2012.)

Le granite grisâtre peut s'observer aussi au S du lac, au bas de la falaise, sous le grès, à l'E de «l'affleurement de la discordance». L'identification des roches du secteur est parfois malaisée (rouille, altérations diverses). Je peux non plus écarter l'hypothèse que certains des affleurements du socle que j'ai relevés ne soient en réalité des blocs erratiques enfoncés dans la terre meuble. Mais je doute fortement que cette configuration se soit répétée si souvent. S'il y a de nombreux blocs erratiques dans le secteur, aucun ne ressemble à ce que j'ai observé au sol.

Il faudra donc redessiner les cartes géologiques et supposer que le tracé de la falaise représente le contact Paléozoïque/Protérozoïque.

Vue vers le NW depuis le sommet de la falaise : au loin, mais tout proche, le lac Beauchamp. (Photo 14 avril 2012.)

D'ailleurs, d'autres que moi affirmaient déjà la même chose :


«... and the ridge boundary [l'escarpement du lac Beauchamp] is the northern boundary ot the Paleozoic rock plains to the south.» (Baird, 1968, p. 144-145)

L'escarpement, on l'a vu, est dans un état de désagrégation bien amorcé. Évidemment, un tel démantèlement est postérieur à la glaciation. Le mouvement de la glace aurait emporté les pièces descellées du grès et n'aurait pas permis de préserver un si lâche amoncellement de blocs anguleux sous la falaise. On ne peut exclure que l'intervention humaine ait joué un rôle dans le façonnement du site. À un endroit, un remblais formé de blocs a été édifié à son pied à je ne sais quelle fin et les arbres qui poussent à travers les failles et dans les crevasses sont encore minces alors que la place est disponible pour des arbres matures beaucoup plus gros. (Voir mon post sur l'histoire du site, une ancienne carrière de grès transformée par la suite en dépotoir.)

Références
Baird D.M., 1968 — Guide to the Geology and Scenery of the National Capital Area. Commission géologique du Canada, rapports divers no 15, 188 p.
Richard, S.H., 1982 — Surficial geology, Ottawa, Ontario-Québec / Geologie de surface, Ottawa, Ontario-Québec. Commission géologique du Canada, carte série «A», 1506A, 1 feuille (1/50 000)

AJOUT AVANT PUBLICATION
En plein bois, l'omniprésence du «végétal irrégulier», comme disait Baudelaire, annihile toute possibilité de donner une vue panoramique de l'escarpement. L'arbre cache la forêt, et la falaise avec. Voici donc quelques photos en vrac qui complètent ce que cet exposé a pu vous en donner comme aperçu.

 Portion de la muraille bien d'aplomb. (Photo 9 avril 2011.)

 Ici, tout tombe, mais reste en ordre. (Photo 9 avril 2011.)

 Là, c'est plus chaotique. (Photo 9 avril 2011.)

C'est pas haut, mais c'est creux ! (Photo 14 avril 2012.)

Bonne perspective ; malheureusement, la falaise manque d'ampleur à cet endroit. (Photo 14 avril 2012.)


Hors sujet : splendeurs et misères d'un arc circumzénithal

Pour faire taire les rumeurs selon lesquelles je ne me préoccupe de ce qu'il y a au sol : évolution d'un arc circumzénithal à Ottawa, 13 avril 2012.





dimanche 1 avril 2012

Hors sujet : capsule et résilience

Je reviens sur le sujet de mon petit bouchon de Kanata.

Depuis plus d'un an, j'observe ses pérégrinations sur une surface rocheuse exposée aux orages, aux bourrasques, à la neige, aux gels et aux dégels, exposée, dis-je, à la fureur des éléments.

Or, en 16 mois, cette petite capsule exposée aux orages, aux bourrasques, aux, etc., est demeurée soit obstinément fixe, soit s'est contentée de translations de quelques dizaines de centimètres pour, à nouveau, prendre non moins obstinément racine.

Témoignage, ces photos :

4 décembre 2010. Vue vers le sud.

 26 mars 2011. Vue vers le NW. 
Un hiver entier n'a rien changé dans la position de la capsule.

 2 avril 2011. Vue vers le NW. 
Aucun changement.

 7 juillet 2011. Vue vers le SE. 
Le bouchon (indiqué par le X noir, dans le quartier supérieur droit) a basculé sur le dos et s'est poussé de quelques dizaines de centimètres (gros plan plus bas). Le centre de la photo correspondant à la position du bouchon le 2 avril 2011. 

24 septembre 2011. Vue vers le SE. 
Le bouchon est indiqué par le X blanc. Nouvelle migration du bouchon, vers l'ouest. 
La boussole est la bienvenue, après tant de dérives !

31 mars 2012. Vue vers le SE. 
Bilan d'un automne et d'un hiver : néant.


Quand on examine plus attentivement certaines photos, on constate que de minuscules cailloux et de non moins microscopiques grains de sable n'ont pas davantage bougé. Je vous laisse constater la chose par vous-même :

 De haut en bas : 4 décembre 2010, 26 mars 2011, 7 juillet 2011 et 31 mars 2012. 
Les deux premières photos permettent de constater que trois mois d'hiver, les chutes de neige et la fonte de la couche accumulée ont tout juste réussi à modifier la disposition des grains de sable qui environnent la capsule.


La prochaine fois que l'on vous parlera de la «puissance des éléments», pensez à la capsule de Kanata.

Mieux qu'un roseau dans la tempête, un bouchon rouillé oublié sur une surface rocheuse plate, symbole de la résilience des petites choses !