jeudi 23 février 2012

Où sont passé les dinosaures de l’Outaouais ? (ajout)



Tyrannosaurus Prismacolorex, espèce encore mal connue. À l'époque où j'ai réalisé ce dessin, il m'arrivait de manquer à la rigueur scientifique et d'omettre de noter mes sources. N'empêche que, par sa rareté, ce document mérite de figurer ici.


Où sont passé les dinosaures de l’Outaouais ?

C'est une question qui revient souvent.

Ils ont disparu, corps et biens, os et vestiges, à croire que l'Outaouais est une région où le bout de la patte d'un dinosaure n'a jamais mis la griffe. Pourtant, ont devine bien qu’ils n'ont pas boudé l'Outaouais ni le Québec en général. Après tout, on en trouve d'abondants fossiles pas si loin au sud, au Connecticut. Quant à la fameuse couche riche en iridium (limite K-T, ou limite Crétacé-Tertiaire) que la chute du météorite responsable de la disparition des dinosaures (cratère de Chicxulub, au Yucatán), il y a 65 millions d'années, aurait répandue à la surface du globe, il arrive que des gens me demandent à quels endroits de l'Outaouais elle serait visible.

Eh bien, nulle part. Telle est la seule (et plate) réponse possible à cette question.

Les dinosaures ont vécu il y a entre 230 et 65 millions d’années (Ma) et les roches les plus jeunes de l’Outaouais ont un peu plus de 440 Ma (calcaire de la plate-forme du Saint-Laurent). Le socle de notre région est donc plus vieux que le plus archaïque des dinosaures. Rien n'aurait pourtant n'aurait empêché ses petites bêtes de l'arpenter tout comme nous le faisons nous-mêmes aujourd'hui si...

... si, depuis 345 millions d’années (Ma)*, le Québec (du moins la plate-forme du Saint-Laurent et les contrées adjacentes) n'était soumis à un régime d’érosion (Globenski, 1987), c.-à-d. que le continent, miette par miette, grain par grain, atome par atome, retourne à la mer, via les cours d’eau.
* Nous dirions aujourd'hui depuis 359 Ma ; voir « Ajout » du 29 nov. 2019.

Le résultat de ce grignotage est que le sol qu'auraient pu fouler les dinosaures a été emporté par l'érosion depuis longtemps. Entre la disparition des dinosaures et notre époque, une couche de roc épaisse d'environ 1 km a été soustraite à notre bout de continent (1).

Avec cette couche de roche s'est enfui tous vestiges matériels ou traces indirectes que ces grosses bêtes auraient pu laisser derrière elles à notre intention. Donc exit, non seulement les dinosaures, mais aussi leurs ossements, leurs traces de pas, leurs nids, leurs œufs, le sol qu'ils foulaient et grattaient, le sous-sol et, en dessous de tout ça, une bonne tranche de l’assise rocheuse.

C’est ce qui s’appelle un grand décapage !

On devine bien après cet exposé que la fameuse couche riche en iridium, dans la mesure où elle s'est déposée en Outaouais durant les dernières heures du Crétacé et les premières minutes du Tertiaire, s'en est allée elle aussi, et probablement très rapidement.

Pour trouver le «plancher des vaches» de l’époque des derniers dinosaures, inutile de chercher au sol ; levez les yeux, il se trouvait à 1000 m au dessus de vos têtes (2).

Et c’est ainsi que vous ne tomberez jamais sur un os en Outaouais.

Un os de dinosaure, s’entend.


NOTES

1.) Estimation qui ne prétend pas à une haute rigueur scientifique à partir du taux d'érosion déduit de l'exhumation du Mont-Royal dont le magma qui le constitue s'est mis en place à 2 km de profondeur il y a 125 Ma (lien). Tenir compte, par exemple, du fait que ce sont les roches sédimentaires qui recouvraient le Bouclier canadien (et le futur Mont-Royal), et dont la plate-forme du Saint-Laurent n'est qu'un reliquat, qui ont offert le moins de résistance à l'érosion. Plusieurs facteurs viendraient pondérer mon calcul, mais retenons simplement que le «sol» actuel du Québec était «au sous-sol» il y a 65 Ma.
2.) Il ne faut pas en déduire non plus que l'altitude du continent était de 1 km supérieure à celle d'aujurd'hui il y a 65 Ma. Si on restaurait d'un coup de baguette magique la couche de roc disparue depuis, le continent s'enfoncerait par compensation isostatique de 800 m (lien). Le gain réel serait donc que de 200 m. Mais là aussi il faudrait tenir compte de facteurs multiples.

AJOUT (27 novembre 2012) 

Voir les coupes montrant l'évolution géomorphologique de la bordure SE du Bouclier canadien (Degeai et Peulvast ; 2006) reproduites ailleurs dans ce blogue. On y voit les Montérégiennes être peu à peu dégagées par l'érosion.

AJOUT (29 nov. 2019)

Depuis la fin du Dévonien (période qui a duré de 419 Ma à 359 Ma), le Québec est soumis à un régime d’érosion (Globenski, 1987). L'épaisseur des roches sédimentaires déposées après l'Ordovicien jusqu'au Dévonien est estimée de 5,6 à 7,5 km ; au Crétacé, cette épaisseur était réduite à 2 km (profondeur de la mise en place des Montérégiennes). (Héroux et Bertand, 1991, dans L. Bouvier, 2013)


RÉFÉRENCES CITÉES


  • Bouvier, Laura (2013). « Exhumation et érosion mésozoïque des roches grenvilliennes bordant le rift St-Laurent, régions de Québec et de Charlevoix : mise en évidence par datation (U-Th-Sm)/He sur apatite » Mémoire. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Maîtrise en sciences de la Terre.
  • Globensky, Y., Géologie des Basses-Terres du Saint-Laurent, MERQ, MM 85-02, 1987, 70 pages, avec la carte 1999 (1/250 000)


6 commentaires:

  1. Billet éclairant (vraiment)! Comme la magnifique couronne du Tyrannosaurus Prismacolorex. Quelle chance d'avoir encore cet artefact! Les archives sont éventuellement toujours utiles. Et extraordinairement décoratives.

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  2. Est-ce que quelqu'un se souvient d'être arrivé au bout d'une boîte de crayons de couleur ?

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  3. Non! Mais j'avais toujours un boîte flambant neuve. Un cas intéressant de génération spontanée.

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  4. Je vois. C'est comme moi : vous aviez beaucoup de mononcles et de matantes pour vous approvisionner...

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  5. Excellent billet! Humour et très belle écriture, encore!
    Et moi, je proposerais ce portrait de T-Rex au Smithsonian.

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    1. Le Smithsonian, lui, est TRÈS sérieux. Raison pour laquelle il n'ouvrira jamais ses portes à mon T. Prismacolorex.

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