samedi 26 juin 2010

Séisme de Buckingham, dit à présent de Val-des-Bois, 23 juin 2010 (m.5,0)

(Voir billet précédent sur le même sujet.)

Résumé. –  L'Outaouais est craquelé de toute part. Pas étonnant que ça tremble parfois.

Haute susceptibilité
La vallée du Saint-Laurent et celle de l'Outaouais sont, après la Côte-Ouest, les régions du pays les susceptible d'être secouées par un tremblement de terre. Plus précisément, la région de Gatineau fait partie de la Zone sismique de l'Ouest du Québec (voir carte en couleurs).

Zone sismique de l'Ouest du Québec : carte des épicentres. Carte modifiée de Ressources naturelles Canada. Selon certains chercheurs, l'alignement des séismes selon une trajectoire NW-SE entre le réservoir Cabonga (en haut) et Montréal serait le résultat du passage du contient au dessus d'un point chaud, le Great Meteor Hotspot, il y a plus de 100 millions d'années. Voir plus bas dans le texte. 
 X : épicentre du séisme du séisme de Val-des-Bois, 23 juin 2010. Note pour les internautes de l'extérieur. – Hull, au Nord d'Ottawa, fait maintenant partie de la ville de Gatineau.


Le Sud-Ouest du Québec est rompu par un fossé, brisure dans l'écorce terrestre, une sorte de gouttière enfoncée : le graben (tranchée) d'Ottawa-Bonnechère (GOB) dans lequel coule la rivière des Outaouais (voir photos). C'est une zone «sensible», et les multiples failles qui composent le GOB sont toujours susceptibles de rejouer comme elles l'ont fait à de multiples reprises avec une ampleur à la mesure des tensions ou des pressions qui ont sollicité le continent tout au cours de son histoire.

Photo 578. – Flanc de l'escarpement d'Eardley, partie du graben d'Ottawa-Bonnechère, près des chutes de Luskville, à l'Ouest de Gatineau. (Juillet 2009)

 Photo 597. – Vallée de l'Outaouais, au fond graben d'Ottawa-Bonnechère. Panorama à mi-hauteur de l'escarpement d'Eardley, au dessus des chutes de Luskville. La plaine est un compartiment affaissé de l'écorce terrestre. (Juillet 2009)


Séquelles
Les failles du GOB s'enfoncent dans le Bouclier canadien, un vieux machin, avouons-le, aussi craquelé que le verni qui recouvre la Joconde... En Outaouais, la province de Grenville (partie locale du dit Bouclier) est formée d'un empilement de tranches de la croûte terrestre qui ont glissé les unes par dessus les autres il y a un milliards d'années. Ce multi-sandwich a édifié une chaîne de montagnes qui auraient pu rivaliser avec l'Himalaya d'aujourd'hui.

L'érosion avait depuis longtemps arasé ces montagnes lorsque, il y a 570 Ma (millions d'années), le continent s'est brisé pour donner naissance à un océan, le Iapetus. Le GOB est une entaille secondaire, une séquelle mineure de cette grande rupture. Une série de collisions entre continents et micro-continents (de 450 Ma à 300 Ma) a fait surgir les Appalaches, tout en consommant la perte du pauvre Iapetus. En 180 Ma, nouvelle rupture majeure, nouvelle naissance, celle de l'océan Atlantique, encore en expansion.

Ces va-et-vient, ces ruptures, ces collisions, ont créé de nouvelles failles dans le Bouclier, en ont réactivés de pré-existentes, autant celles du GOB que celles du «sandwich». Une carte structurale de l'Outaouais évoque un plat de porcelaine vingt fois brisé et autant de fois (mal) recollé, avec des morceaux qui ne sont pas tous de niveaux...


Figure a. – Les principaux éléments de la figure sont mentionnés dans le texte ; les séismes majeurs sont indiqués. (Le GOB, tout comme le graben du Saguenay, à l'Est de la région représentée, constitue un embranchement du Rift du Saint-Laurent.) L'astérisque orangé : épicentre du séisme du séisme de Val-des-Bois, 23 juin 2010. Modifié de Rimando et Benn (2005)

Figure b. – Détail de la fig. 1a. Les principales failles de la région de Gatineau («Hull») sont représentées. Les lignes tiretées grises séparent les terranes, ou compartiments de la croûte terrestre qui forment le «sandwich», ou empilement crustal, évoqué plus haut. 
Modifié de Rimando et Benn (2005).


Stress profond
Le «sandwich» évoqué plus haut doit sans cesse se réajuster aux situations nouvelles (autant qu'aux derniers réajustements, on n'en sort pas !), le long des plans de contact entre les tranches de croûte terrestre, ou le long des anciennes cassures qui les traversent.

Le foyer  du séisme de Val-des-Bois était situé à environ 16,4 km de profondeur, soit au cœur de l'empilement (ou du sandwich...) Selon les rapports préliminaires, une faille d'extension (faille inverse), orientée NNW-SSE, se serait réactivée. Tout ceci évoque le séisme de Mont-Laurier (m. 5,0), en 1990, dont le foyer était situé à 11 km de profondeur (faille inverse selon un plan E-W). (Voir carte en couleurs.)

«... Les dix dernières années d'enregistrement ont confirmé que la plupart des séisme de l'Ouest du Québec, y compris celui de Mont-Laurier, se produisent dans une zone orientée nord-ouest-sud-est à l'intérieur de la Ceinture Métasedimentaire Centrale [partie de la province de Grenville] avec la plupart des profondeurs focales entre 7 et 25 kilomètres.» (Lamontagne et al., 1994.)

Hotspot et glaces
Comme si ce n'était pas assez, entre 200 Ma et 80 Ma, l'Est de l'Amérique du Nord aurait dérivé au dessus d'un point chaud (remontée de roches chaudes depuis les tréfonds du globe), le Great Meteor Hotspot, affaiblissant encore la croûte. Le chapelet des Montérégiennes et des New England Seamount, entre autres, permet de reconstituer le parcours de ce point chaud à l'Est de l'Outaouais jusqu'en Atlantique.

Depuis, l'Amérique du Nord suit le petit pépère de chemin que la dérive des continents lui trace. L'expansion de l'Atlantique, qui se poursuit, repousse le continent vers l'Ouest, ce qui occasionne un stress de compression mineur.

Enfin, n'oublions pas la dernière glaciation qui, dans la région, a pris fin il y a 12 000 ans. La croûte terrestre, qui s'était enfoncé dans la région d'environ 200 m sous le poids des glaces, n'a pas encore atteint sa position d'équilibre et remonte encore aujourd'hui, à un rythme infime en grignotant les millimètres. C'est le rebond isostatique.

On croit d'ailleurs que des séismes de magnitude 6,5 sur l'échelle de Richter auraient causé des  méga-glissements de terrains dont les cicatrices fossiles subsistent encore, il y a 7060 et 4550 ans ; à l'Est d'Ottawa, d'épais dépôts comblant des cuvettes du socle se seraient déformés et étalés sous l'effet de l'amplification des secousses, réfléchies par les parois rocheuses dans ce matériel particulièrement ductile.

Conclusion (brève). – L'Outaouais est craquelé de toute part et s'est fait promené et malmené durant toute son existence. Pas étonnant que, parfois, ça tremble.

Conclusion (à peine plus élaborée). – Même si la cicatrice du GOB demeure l'élément le plus spectaculaire de la géologie de l'Outaouais, il semble bien que se soit encore l'héritage profond de la chaîne de montagnes édifiée il y a un milliard d'années (orogène de Grenville) à qui l'on doit le plus grand nombre de séismes. 

Bref, on n'échappe pas à un passé géologique fait de bris et de chocs !

Références
Lamontagne, M., Hasegawa, H.S., Forsyth, D.A., Buchbinder, G.G.R., et M. Cajka. 1994, «The Mont-Laurier, Québec, earthquake of 19 October 1990 and its seismotectonic environment.» Bull. Seism. Soc. Am., vol. 84, no 5, p. 1505-1522.

Rolly E. Rimando et Keith Benn, 2005, «Evolution of faulting and paleo-stress field within the Ottawa graben, Canada.» Journal of Geodynamics, vol. 39, p. 337-360.

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