samedi 7 novembre 2009

Marmite des Allumettières


OBJET
Marmite dans des calcaires ordoviciens. La marmite date sans doute de la fin de la dernière glaciation ou des épisodes qui ont suivi (il y a 8 000 ans ou plus). Nom proposé : Marmite des Allumettières.

LOCALISATION
SNRC 31G/05
Boulevard des Allumettières (côté Sud), Gatineau (Québec), 45°25'55.14"N, 75°43'46.77"W

DÉFINITION
Marmite. – Cavité circulaire creusée dans le lit rocheux d'un cours d'eau par des galets entraînés par des tourbillons.

DESCRIPTION
Elle est apparue au grand jour lors de la percée du boulevard des Allumettières : une marmite, creusée dans des calcaires ordoviciens. Il n’en subsiste qu’une moitié, la falaise qui longe le boulevard la coupe par son milieu, nous en présentant une coupe presque idéale, comme dans les traités de géomorphologie (photo 1547).


Il est surprenant que cette curiosité géologique, pourtant assez spectaculaire et située sur une voie passante, n’ait pas attiré davantage l’attention et, à ce que je sache, qu'aucune description (voir addendum du 7 nov.) n'en ait été publiée. Je l’ai donc un peu adoptée et je propose de la baptiser Marmite des Allumettières. (Quoi de plus logique que d'apparier des allumettes et une marmite ?)

La marmite s’élargit vers le bas pour atteindre une profondeur d'environ 4 m et une largeur de même envergure. Vue du dessus, elle présente une structure complexe, plutôt qu’une forme circulaire régulière ; une succession de seuils marquent des variations dans la force de l’érosion (ou de la résistance des strates rocheuses) et la direction de l’élargissement de la cavité (d'abord selon un axe NW-SE, puis SW-NE; voir photo 1557).

Il faut imaginer l’eau qui tourbillonnait, les galets qui frottaient et grugeaient les parois. Assurément, de l’eau a coulé là où aujourd’hui pousse le gazon et roulent les voitures.

MERS ET GLACES
À la fin de la dernière glaciation (voir Chronologie, plus bas), la région, qui avait été maintenue enfoncée sous le niveau des océans par le poids des glaces qui la recouvraient (de 1 à 2 km d’épaisseur), a été partiellement submergée par les eaux de l'Atlantique. Ce fut la formation de la mer de Champlain. Puis, la croûte terrestre, libérée du fardeau des glaces, commença à se relever (mouvement qui se poursuit à un rythme moindre aujourd'hui).

Au fur et à mesure de son rebond, le continent refoula les eaux marines vers l'Est ; celles-ci abandonnaient derrière elles l'épaisse couche d'argile qu'elles avaient eu le temps de voir s'accumuler au fond de leur bassin.

L'ancêtre de la rivière des Outaouais, beaucoup plus large que la rivière actuelle, s'est divisé en plusieurs bras qui ont creusé leur lit à travers cette masse argileuse, dénudant par endroits le socle rocheux, l'exposant à d'éventuels agents érosifs. Un seul des bras de ce proto-Outaouais, le principal, a subsisté, et a formé la rivière actuelle.

FORMATION DE LA MARMITE
Une question s'impose immédiatement à l'esprit : qu'est-ce qu'une marmite, qui n'est qu'un sous-produit naturel de l'énergie hydraulique, fait à l'intérieur des terres, à 1 km de la rivière des Outaouais, le plus proche cours d'eau conséquent, et à presque 2 km de la Gatineau, son affluent ? (On peut négliger le modeste ruisseau de la Brasserie, à moins de 200 m en contrebas du site.)

Je ne vois que deux hypothèses pour expliquer la formation de la marmite des Allumettières :

1) Hypothèse «tardive»
La marmite s'est créée il y a entre 10 000 et 8 000 ans alors que le proto-Outaouais nettoyait la majeure partie du territoire du secteur Hull de la ville de Gatineau (précision à l'usage des «locaux» : au Sud du boulevard Saint-Raymond et à l’Est du lac des Fées) de l’argile marine qui la recouvrait, dénudant le socle rocheux calcaire et l'exposant, au moins localement, à l'érosion par l'action des eaux.

2) Hypothèse «précoce»
La marmite est plus précoce et appartiendrait à une série particulière de formes d'érosion de distribution régionale. En Ontario, près du Devil Lake (110 km au SW), une marmite (2 m de profondeur par 1,3 m de largeur), forée dans un paragneiss grenvillien, a été attribué par Gilbert (2003) à l’écoulement d’eaux sous-glaciaires (donc, avant la déglaciation). Si cette explication prévaut également pour la marmite des Allumettières, celle-ci devrait être reliée aux formes d’érosion sous-glaciaires spectaculaires que l’on observe dans un marbre grenvillien à Cantley, à 18 km au Nord du site de notre marmite. (Voir ce billet.)

CHRONOLOGIE LOCALE
Ordovicien (488-444 millions d’années) : formation des calcaires de la région dans les eaux peu profondes d’une mer chaude ;
Glaciation du Wisconsinien (80 000-10 000 ans) ;
Épisode de la mer de Champlain (12 000-10 000 ans) ;
Le proto-Outaouais, plus large que la rivière actuelle, recouvre le Sud du secteur Hull de la ville de Gatineau (10 000-8 000 ans) ;
Le cours de l’Outaouais est contenu dans son lit actuel (à partir de 8000 ans). 



À SUIVRE
L'entaille crée par la marmite dans le roc est visible sur les photos satellites de Google Map (voir ce billet). On constate qu’elle s’allonge selon un axe NW-SE. Ce fait, ainsi que l’existence d’une bande de terre qui, de haut en bas, coupe le mur SE de la marmite, n’est pas sans signification. (La suite dans un billet ultérieur.)

LES ALLUMETTIÈRES (HISTOIRE SOCIALE)
Les «Allumettières [...] étaient des travailleuses de la compagnie E.B Eddy qui fabriquait des allumettes pendant les années 1920. La pratique de ce métier féminin dans de difficiles conditions comportait de sérieux risques pour la santé.» Tiré de http://www.oregand.ca/veille/2007/02/la_ville_de_gat.html


LÉGENDES DES PHOTOS (juillet 2007)
1547 : vue d’ensemble de la marmite et des calcaires ordoviciens.
1550 : profil du mur Ouest de la marmite.
1551 : vue vers le Sud.
1557 : perspective cavalière.
1567 : détail du plancher.

SOURCES
N.R. GADD, 1987, «Geological Setting And Quaternary Deposits Of The Ottawa Region», dans R.J. FULTON, 1987, Quaternary Geology of The Ottawa Region, Ontario and Québec, Comission géologique du Canada (CGC), Étude 86-23, p. 3-9.
R. GILBERT, 2000, «The Devil Lake Pothole (Ontario) : Evidence of Subglacial Fluvial Processes», Géographie physique et Quaternaire, vol. 54, no 2, p. 245-250.

ADDENDUM (7 novembre 2009)
Ce n'est qu'après la rédaction du premier état de ce billet, au printemps 2009, que j'ai découvert l'unique mention de son existence (à ma connaissance) dans D. SHARPE et A. PUGIN, Glaciated terrain and erosional features related to a proposed regional unconformity in Eastern Ontario: Field trip Guide Book, GSC, Open File 5596, 2007, 44 p.

Les auteurs précisent (p. 19) que la marmite («Pothole in the Ottawa River valley») était remplie de sable et de galets, les éléments les plus grossiers (20-30 cm) se trouvant au sommet. Ils relient la formation de la marmite à des courants rapides dans un ancien chenal de la rivière des Outaouais, mais n'écartent pas l'hypothèse d'une érosion sous-glaciaire...

ADDENDUM (3 avril 2010)
Voir ce billet.

ADDENDUM (18 mars 2013)
Le calcaire dans lequel est creusée la marmite appartient à la formation de Rockland, Ordovicien moyen et supérieur, selon Wallach et al. (1995). (J'avais cet article depuis plusieurs années quand j'ai rédigé ce billet, mais, dans mes souvenirs, il ne traitait pas du secteur de la marmite. Je me suis rendu compte de mon erreur récemment, en cherchant tout autre chose.) En 1995, le futur boul. des Allumettières s'appelait le boul. Saint-Laurent. La marmite n'existait pas encore, enfouie qu'elle était sous la terre meuble.) Ref. : Joe Wallach, K. Benn et R. Rimando, «Recent, tectonically induced, surficial stress-relief structures ine the Ottawa-Hull area, Canada.» Revue canadienne des sciences de la Terre, vol. 32, 1995, p. 325-333.

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